• Tome 3 Chapitre I #1

                                      1   Prisonnière            Tome 3 Premières lignes #1

     

     Sur le haut fauteuil inconfortable, Chayma tremblait de tout son corps. Le garçon, aux cheveux noirs plaqués sur la tête, faisait rouler entre ses doigts agiles la pierre qu'elle portait autour du cou, traversée par un cordon lisse, relativement court. Cette pierre ne quittait pas Chayma, simplement parce qu'elle ne pouvait pas lui être retirée.

    _ Elle est très belle, fit le garçon. Très belle... Comme un petit bout de cosmos...

    La main droite menottée au bras du fauteuil, Chayma était prisonnière. Elle fixait celui qui la retenait dans un espace sans nom, quelque part dans la Zone d'Ombre. Fursy semblait fasciné par la petite pierre ronde, bleu Nuix, qui laissa échapper plusieurs éclats dorés. Il plissait ses yeux malins, maquillés d'un large trait noir, scrutant de son regard calculateur ce minéral tant convoité. Il ajusta une lampe frontale sur sa tête et éclaira vivement la pierre, éblouissant Chayma au passage. Il haussa les sourcils.

    _ Chrysalide..., lâcha-t-il d'une voix sourde. J'en ai déjà vu une... il y a longtemps. Une vraie Chrysalide... pas d'ombre portée...

    Puis il éclata de rire. Il se redressa, ouvrit les bras en signe de victoire, libérant une joie malsaine et inquiétante. Il désigna Chayma du doigt. Elle paraissait toute petite, assise dans le siège imposant.

    _ Je t'ai eu ! Je t'ai eu !... Tu vois, Élie, j'arrive toujours à mes fins. Moi, Fursy, Prince du Peuple de l'Ombre, je suis le plus fort. Je suis le plus fort ! Ils vont tous me suivre, ceux de mon clan, les Coyotes, et ceux des autres clans qui ont compris qu'avec moi ils pouvaient aller loin. Ils sont nombreux à se rallier au combat du Peuple de l'Ombre... Oui..., et moi, MOI ! aujourd'hui, je vais décupler mes forces grâce cette splendeur : ta Chrysalide.

    Fursy regardait Chayma de son air supérieur, un sourire de satisfaction sur ses lèvres fines.

    _ Cette pierre a des pouvoirs... Je le sais... Mon père m'en a parlé un jour, avant que... Qui t'a donné cette pierre ?

    Chayma ne répondit pas. Elle était incapable de parler, incapable de quoi que ce soit. Elle ne voulait pas raconter son histoire à ce garçon ambitieux et sans scrupules.

    _ Réponds ! insista-t-il d'une voix dure.

    Chayma se recroquevilla au fond du fauteuil. Fursy s'approcha d'elle, le visage contrarié. Il resta ainsi, figé, quelques secondes, puis, d'un geste vif, lui asséna une forte claque en pleine figure. Chayma reçut le coup sans crier, ses yeux noirs rivés sur son bourreau. Elle sentit du sang couler de son nez et elle avala une goutte quand il fut sur sa bouche.

    _ Qui t'a donné cette pierre ? répéta Fursy avec colère.

    Dans un élan de révolte, Chayma cracha vers le garçon un peu de salive mêlée de sang. Fursy lui donna une deuxième gifle, violente, et elle sentit que sa lèvre inférieure venait de se déchirer contre ses dents. Le goût de son sang dans la bouche, étrangement, la rassura.

    Le bras levé, le garçon était prêt à la frapper une nouvelle fois. Il se ravisa subitement et s'éloigna d'elle. Il se mit à faire des allées et venues dans l'espace que seul un flambeau, posé dans une encoche du mur, éclairait faiblement. Parlant à voix basse, les bras agités de mouvements rapides, il semblait pris dans un tourment profond. « … pas grave, pas grave... Je saurai un jour... Il me dira... L'essentiel c'est que... Ah, ah... arrivé. J'y suis arrivé ! »

    _ OK, OK ! Tu ne veux rien dire. Normal... Tu es Prince des Montagnes... Je ferais pareil à ta place. Après tout, nous sommes comme des frères, n'est-ce pas ? Toi, Prince des Montagnes, et moi Prince du Peuple de l'Ombre... Car tu es bien né, j'en suis sûr. Cela, tu peux au moins me le dire... Qui est ton père ?

    Fursy avait adouci son regard et attendait la réponse de Chayma. Elle se contenta de froncer un peu plus les sourcils.

    _ Il faut que tu me dises, il faut que tu me parles, insista Fursy la voix doucereuse. Tu n'es pas un enfant banal, tu portes une Chrysalide... Et je dois savoir d'où elle vient. Je dois savoir... Tu sais, tu peux être mon ami. Ensemble, nous pouvons faire de grandes choses. Dis-moi d'où vient cette pierre. C'est important : je dois savoir.

    Une fois de plus, Chayma se garda de parler, tétanisée par la peur. Elle se trouvait dans un cauchemar, alors que quelques heures auparavant tout semblait facile, entourée de ses amis, Mihiran et Bakary, prêts à l'aider, à la suivre... Tout d'un coup, tout s'était effondré. L'espoir de sauver Élie, son petit frère, s'était brutalement éloigné. Elle n'avait pour seul repère que cet espace fermé, perdu, empli d'une ombre épaisse et désespérante.

    _ Je sais que cette pierre a des pouvoirs, reprit Fursy. De grands pouvoirs... Un jour, mon père m'a dit que celui qui détenait une Chrysalide pouvait nourrir les ambitions les plus hautes car la pierre est capable de libérer une énergie fabuleuse. Mon père était un homme important, vois-tu ? Il était ami avec le Commandeur et, ce jour-là, il nous avait montré, à ma mère et à moi, la Chrysalide qui appartenait au fils du Commandeur. Cet adolescent, stupide et maladroit, ne cessait de perdre ses affaires et il pleurnichait parce qu'il avait perdu sa pierre. « Sa jolie pierre » d'enfant gâté... Mon père a retrouvé la bague sur laquelle elle était fixée. L'autre nigaud de Gaudéric pouvait encore ôter cet anneau de son doigt... C'était un cadeau du grand savant, Léon de Larocca. Quand j'ai vu la Chrysalide, j'avais huit ans, les paillettes dorées se sont mises à palpiter comme un petit cœur vivant..., je me suis juré, qu'un jour, je possèderai, moi aussi, ce caillou magnifique. Et puis...

    Un rictus douloureux traversa le visage mobile du garçon. Il poussa un cri suraigu. Après quelques secondes, où il sembla terrassé par une douleur profonde, il retrouva son regard arrogant. Puis il proféra d'une voix puissante :

    _ Ce jour est arrivé ! Je possède cette fameuse pierre. Plus tôt, plus vite que je n'avais prévu ! Je vais pouvoir faire de grandes choses... Heureusement que ces imbéciles, le Commandeur et son fils, ne savent pas comment utiliser ses pouvoirs.

    Pour la première fois depuis qu'elle était prisonnière, Chayma prêta attention aux propos de Fursy.

    _ Tu... Tu sais comment te servir de la Chrysalide ? demanda-t-elle d'une voix blanche.

    _ Ça se peut...

    Le garçon paraissait très heureux de son effet.

    _ Tu vois, si tu me dis ce que tu sais, si tu me parles, on pourra aller loin. Tous les deux... Tu sais, je ne te veux pas de mal. Dis-moi ce que tu sais. Qui t'a donné cette pierre ?

    Chayma serra les dents. Elle ne dirait rien. Elle défia le garçon de son regard intense. Une troisième gifle vint claquer méchamment sur son visage, amplifiant la douleur au nez et à la bouche. Elle ne put retenir quelques larmes alors que le sang recommençait à couler.

    _ Tu l'as cherché ! hurla le garçon. Tu dois me parler, tu dois me dire...

    Dans le brouillard de ses larmes, Chayma osa un minuscule « pourquoi ? »

    _ Pourquoi ? Tu me demandes pourquoi ? Parce que je veux savoir, c'est tout. Parce que ça fait des années que je m'intéresse à cette pierre. Je sais... je sais que plusieurs Chrysalides ont été formées à partir d'un bloc brut. Je sais que le professeur de Larocca a su révéler la force contenue dans ce bloc... Alors tu dois me dire d'où viens ta Chrysalide. Tu es un enfant. Donc, on t'en a fait cadeau. Donc, ta famille ou des amis de ta famille ont des relations proches avec le savant, de Larocca. Toi, tu viens des montagnes, tu viens des Hauts Plateaux... Je veux comprendre. Voilà pourquoi.

    _ Je ne sais rien, mentit Chayma.


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