• Tome 3 Chapitre I #3

    Quelques heures plus tard, Chayma se réveilla, agacée par des sifflements longs et continus qui lui traversaient la tête. L'intensité des sifflements l'obligea à se réveiller complètement. Elle se mit assise, fermant ses bras sur ses genoux. Les sons aigus, désagréables, qui habitaient sa tête, résonnèrent un moment puis, petit à petit, diminuèrent. Ils firent place à des images fortes qui s'imposèrent à son esprit comme si elles choisissaient de venir à son secours. Chayma revit son départ de Loma sur les Hauts Plateaux. Elle refit son parcours mouvementé jusqu'aux heures récentes avec ses amis : Mihiran, Dounia, Bakary, Zéphirin, Lisa, Laszlo... et Douxyeux, cette jeune chienne, aux yeux si doux, qui lui avait sauvé la vie. Et aussi Maître Jacob, Zina, les enfants du clan des Fennecs, Chad... Chad l'avait trahie. C'était lui qui avait révélé à Fursy qu'elle était l'enfant qu'il cherchait. Comment avait-il fait pour comprendre ? Et à quel moment ?... Les derniers événements se bousculaient dans sa tête. Cependant, elle se souvenait précisément qu'elle avait trouvé l'entrée de la Porte d'Azoth, sous la station Mercure, aidée par Mihiran, Bakary et Douxyeux. Puis son chien était sorti du cachot, alerté par des hurlements et, peu après, avait lancé un cri plaintif. Elle était sortie à son tour et avait vu Douxyeux, allongée près de la voie. Droguée... Aussitôt, elle avait été droguée elle aussi, sans qu'elle puisse se défendre.

    Le chef des Coyotes l'avait piégée au moment où elle approchait de son but : trouver la Porte d'Azoth pour rencontrer le professeur Pavel. Corentin Pavel était un homme de science, ami de ses parents et c'était lui qui pourrait soigner son petit frère... Élie... Cet enfant rieur, aux cheveux et aux yeux noirs. Son petit frère adorable dont elle avait pris le nom, par affection, et parce qu'elle devait se faire passer pour un garçon. À part trois femmes Dounia Azabal, l'artiste talentueuse aux cheveux bleus, Zina, sa jeune servante, et Irina Kassoukhanova, son horrible grand-mère , personne dans Alzar ne connaissait sa véritable identité. Pour tous, elle était un jeune garçon de onze ans. Bientôt douze... Ce subterfuge nécessaire lui avait permis d'avancer dans ses recherches, de se débrouiller dans les Zones difficiles de la ville, avec les clans d'enfants des rues. Mais elle avait manqué de prudence : l'enfant sauvage venu des Hauts Plateaux, qui détenait une Chrysalide, était cherché par tous. Elle avait alors changé d'apparence et pris le nom de son autre petit frère, Mehdi, pour passer inaperçue. Cette ruse n'avait servi à rien. Fursy l'avait retrouvée...

    Sur son matelas miteux, isolée du reste du monde, Chayma se sentait mal. Son corps se mit à la tirailler de toutes parts : elle avait mal à la tête, elle avait faim et une brûlure étrange traversait sa main droite. Elle regarda la plaie boursouflée qui, depuis plusieurs jours, n'arrivait pas à guérir. Dounia lui avait donnée une boîte de pansements, ils l'avaient soulagée quelque peu. Où était cette boîte... ? Et sa sacoche, son blouson ? Elle les avait posés sur le sol du cachot quand, avec Mihiran et Bakary, ils avaient soulevé la dalle de la Porte d'Azoth. Le Livre des Pierres, ce livre puissant, confié par sa mère, était resté là-bas aussi, avec toutes les belles choses qui l'aidaient à avancer : une photo de famille, trois petites pierres colorées, une carte des Fameux Joueurs de Squizz... Elle se sentit vide, vidée d'un trésor qui la constituait. Pour ne pas sombrer dans le désespoir, elle récita trois psalmodies, doucement, prenant le temps d'apprécier chacun des mots. Ce petit rituel l'apaisa. Elle s'essuya les yeux avec l'écharpe et, peu après, elle s'endormit de nouveau.

    _ Mange !

    Sur sa couchette, Chayma perçut la voix autoritaire de son bourreau.

    _ Mange ! répéta Fursy. Il faut que tu manges.

    Le garçon la secoua avec son pied.

    _ J'ai à te parler.

    Chayma se redressa et regarda les victuailles que Fursy avait posées à côté du matelas : un sandwich, une pomme, une poignée de bonbons et une bouteille d'eau. Elle attrapa la bouteille et but d'un trait la moitié du contenu. Puis elle commença à dévorer le sandwich, se plaçant plus confortablement, le dos appuyé au mur.

    Fursy lui faisait face, installé dans le fauteuil qu'il avait retourné.

    _ Bien... Je suis content de voir que tu vas bien, fit-il du haut de sa suffisance.

    Chayma ne répondit pas. Elle ressentait un dégoût puissant à l'égard de ce garçon vicieux.

    _ Je ne sais pas d'où tu tiens ta Chrysalide et son cordon, mais ce sont des objets extraordinaires, à n'en pas douter. J'ai beaucoup réfléchi depuis que je t'ai quitté et j'en suis venu à la conclusion que tu devais être, tu dois être, un enfant de haute lignée... C'est évident ! Qui, par exemple, a reçu une Chrysalide à sa naissance ? Le fils du Commandeur ! Gaudéric Steiner, futur Commandeur. J'ai donc devant moi quelqu'un de ma condition, quelqu'un que je peux considérer comme mon égal... Si tu es Prince, je ne peux agir avec toi comme avec n'importe lequel de ces gamins pouilleux. Aussi, j'ai décidé de te proposer un arrangement... Crois bien qu'il me serait plus facile de régler le problème autrement pour profiter de ton joli petit caillou, mais..., étant donné les circonstances, un enfant de haute naissance..., je serai magnanime : je choisis de t'associer à mes projets ! Je ne sais pas si tu réalises l'honneur exceptionnel que je te fais... Aujourd'hui, tu es là, à moi, à ma portée, petit animal farouche des Hauts Plateaux, lointain cousin d'un pays noble, et je décrète que toi, Prince des Montagnes, tu seras mon petit frère. Qu'en dis-tu ?

    Fursy avait posé sa main droite sur son cœur et regardait sa victime avec la supériorité d'un roi qui accorde ses faveurs. Chayma n'avait presque rien compris à sa tirade.

    _ Je sais pas..., fit-elle simplement.

    _ Bon, je crois que tu n'as pas bien réalisé, continua Fursy avec condescendance. J'ai de grandes ambitions... Je veux retrouver la place qui me revient : au milieu des puissants, avec les privilèges, le faste et le luxe que j'ai connus quand j'étais plus jeune. Tu connaîtras ce faste, toi aussi. Parce que je te choisis... Ta Chrysalide va nous permettre d'y arriver. Ses pouvoirs... N'est-ce pas mieux que de tourner sans fin et sans espoir dans cette Zone d'Ombre, au milieu des petits vauriens et des chiens féroces ?

    _ Je... Je ne veux pas de ton truc de luxe ! répliqua Chayma qui ne pouvait cacher son aversion pour ce garçon.

    _ Décidément, tu es décourageant ! Tu ne comprends rien ! s'énerva Fursy. Je te propose d'être un partenaire privilégié, d'être mon frère de cœur... Je t'accorde une chance que je n'accorderais à personne d'autre ! Tu, tu... Si tu ne marches pas avec moi, je vais être obligé de prendre une décision radicale. Tragique...

    Malgré la peur qui ne la lâchait pas, Chayma retrouvait des forces. Elle ignora la voix sifflante et menaçante de Fursy car une chose ne cessait de l'intriguer.

    _ La Chrysalide... Comment veux-tu t'en servir ?

    _ J'ai une piste, répondit Fursy sur un ton évasif et suffisant.

    _ Tu peux me dire ?

    _ Il faut que tu mérites ma confiance. Dis-moi ce que je t'ai demandé : qui t'a donné cette pierre, qui sont tes parents, pourquoi es-tu ici ?...

    _ Si je réponds à tes questions, tu me dis comment elle... « marche » ?

    _ C'est à considérer. Dis toujours...

    Chayma perçut le ton fourbe et calculateur dans la voix de Fursy. Il essayait de la faire parler... Mais elle aussi voulait savoir. Depuis qu'elle était à Alzar, la Chrysalide lui avait considérablement compliqué la tâche et l'avait mise en danger. Bakary, ce jeune enfant à la peau noire, lui avait dit récemment : « La Chrysalide guérit toutes les maladies, même les plus étranges ! » Si c'était vrai, elle comprenait mieux pourquoi cette pierre était si convoitée. Peut-être portait-elle autour de son cou la solution pour guérir son petit frère. Mais comment ?... Apparemment, Fursy avait une réponse. Avec ruse, elle accepta de lui dire ce qu'il attendait, choisissant de lui révéler une partie de la vérité. Celle qui pourrait l'impressionner.

    _ Léon de Larocca est mon grand-père.

    Fursy accusa le coup, yeux écarquillés, bouche ouverte. Puis il sourit d'un air satisfait et stupide.

    _ Je le savais, je le savais ! Petit frère... Nous sommes du même monde. La Chrysalide te désigne comme un être supérieur. C'est évident !

    _ La Chrysalide ?...

    _ Petit-fils de Léon de Larocca... Excellent... EXCELLENT ! Je comprends tout maintenant. Je comprends tout ! Tu es comme moi...

    Le garçon se leva et alla s'asseoir à côté de Chayma. Il passa le bras autour de ses épaules et se mit à la regarder étrangement, follement. Face à son expression illuminée, Chayma devina qu'il brûlait de lui faire des confidences.

    _ Enfin, enfin !... Je ne m'étais pas trompé quand je t'ai vu la première fois. Je vais te dire, mon petit chérubin. Je vais te dire, cher petit-fils du professeur de Larocca... Voici un secret inouï : c'est l'Eau de l'Alcarazas qui donne pouvoir à la pierre.

    _ Quoi ?

    _ L'Eau de l'Alcarazas..., susurra Fursy le visage exalté et de plus en plus proche de celui de Chayma.

    _ Et... alors ?

    _ Alors..., avec l'Eau de l'Alcarazas, la pierre développe sa puissance. Elle accomplit toutes les promesses... Tu comprends, tous les deux, nous allons faire des choses magnifiques. Tous les deux !

    Chayma recula sa tête instinctivement pour échapper au regard fou de Fursy qui ne la lâchait pas. Il affichait un sourire enjôleur qui la rebuta. Il passa sa langue pointue sur ses lèvres, d'un air gourmand. L'étreinte du garçon était insupportable... Chayma se dégagea brusquement, se leva d'un bond et se mit à courir aussi vite qu'elle le put pour gagner la grille au fond du couloir.

    Fin Chapitre 1

     


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