• Tome 3 Chapitre II #1

    2 _ Une Mise à Mort     Tome 3 Chapitre II #1

     

    Courant de toutes ses forces, Chayma s'enfonça dans le couloir noir. Un court instant, elle eut l'espoir fugace de rejoindre la grille et d'échapper à son bourreau. Mais, soudain, le corps souple de Fursy, à peine plus lourd qu'elle, vint cogner son dos et la faire chuter. Les deux enfants roulèrent dans la poussière, sans se faire mal, haletants, collés l'un à l'autre comme des animaux sauvages. Quelques secondes après, Chayma maudit de tout son être le garçon qui la plaquait au sol. Fursy se mit à rire. Une fois de plus.

    _ Tu ne m'auras pas ! lâcha-t-il.

    Le garçon appuyait un genou contre le ventre de Chayma, douloureusement. Elle sentit sa respiration saccadée, désagréable, qui se rapprochait de son visage. Puis il se redressa d'un coup, posant fermement un pied sur son buste pour la tenir au sol.

    _ Tu n'aurais pas dû, fit-il avec colère. Tu n'aurais pas dû !

    Il saisit l'écharpe de Chayma et la fit se lever par un geste brusque. Il lui mit un coup derrière la tête pour qu'elle se dirige vers l'espace de vie où brûlait faiblement l'unique flambeau.

    _ Tu n'as pas intérêt à recommencer. Avance !

    Arrivés au bout du couloir, il la poussa méchamment sur le matelas.

    _ Ne bouge plus. Tu n'as pas le droit de bouger ! hurla-t-il.

    Sans cesser de surveiller sa proie, le visage furieux, il attrapa son sac à dos et en sortit une corde. Chayma se redressa, prête à réagir, mais Fursy, toujours aussi rapide, la retint d'un geste ferme. Aussitôt, il lia ses pieds en serrant fort.

    _ Voilà ! Amuse-toi bien.

    Puis il pointa un doigt dans sa direction.

    _ Petite peste. Sale petite peste ! Je... Tu... Tu as essayé de m'échapper alors que je t'ai fait confiance... Tu... Tu vas voir ce qui arrive à ceux qui me trahissent. Tu vas voir !

    Il lui tourna le dos et disparut dans le noir.

    Chayma mit plusieurs minutes pour défaire les nœuds de la corde. Elle se retrouvait seule, l'estomac noué par la peur. La flamme de la torche faisait danser les ombres aux murs comme autant de fantômes inquiétants. Des doigts griffus et maléfiques semblaient la menacer de toutes parts. Elle était au centre d'un cauchemar, cernée par des ombres noires et effrayantes.

    Elle s'allongea et ferma les yeux.

    Une main froide tirait sur son cordon, insistait et la secouait sans ménagement.

    _ Ah, cette saleté de lanière ! fit la voix de Fursy. Je ne comprends pas... Qui a inventé ce truc ?

    Chayma ouvrit les yeux. Le garçon était penché sur elle, une grimace hideuse sur son visage. Il se redressa et pointa ses méchantes cisailles vers elle.

    _ Tant pis pour toi ! Tant pis...

    Il alla s'asseoir dans le fauteuil et la toisa d'un air hautain.

    _ Tu n'es qu'un minable petit gosse ! Tu te crois malin parce que tu as essayé de t'enfuir... Petit crétin, tu paieras cher cette offense. Tu sauras, sale gamin, qu'on ne méprise pas Fursy. Tant pis pour toi, tant pis pour toi ! C'est toi qui l'as cherché...

    Chayma ne savait pas ce qui allait se passer, mais elle devinait que, pour récupérer sa Chrysalide, Fursy lui préparait un sort tragique. Quelques jours plus tôt, l'homme envoyé par sa grand-mère avait voulu lui trancher le cou... Un sentiment de terreur s'empara d'elle. Elle fit une tentative pour amadouer le garçon.

    _ Je... je vais te dire..., balbutia-t-elle.

    Fursy brassa l'air d'un geste méprisant.

    _ Trop tard ! Je me suis trompé sur toi. Tu n'es qu'un sale gosse ! Ma décision est prise... Tu détiens ce que je convoite depuis longtemps et ça, c'est l'essentiel. Je vais me débrouiller pour te l'arracher du cou. Je vais y arriver, c'est sûr !.. On se passera de toi.

    Avec un geste souple, Fursy remonta ses jambes et les entoura de ses bras. Il afficha un large sourire dédaigneux.

    _ En fait, je crois que je n'aurais pas aimé avoir un « petit frère ». Un jour ou l'autre, ton sort aurait été funeste. Cela pourra peut-être te consoler... Tu vois, il ne fallait pas te faire attraper. Je te l'ai dit la première fois que je t'ai vu. Tu es une proie trop neuve, un enfant farouche, un enfant qu'on sacrifie... Tu n'as pas su te protéger. Et moi, je prends. Parce que je suis Coyote, grand Coyote. Parce que je suis bien né... C'est la loi ! Je prends la proie fragile, offerte. Je me régale de sa terreur. Je me délecte... Dans ta détresse, tu es plus beau encore que je le croyais. Et si pitoyable. Plus désirable... Ta vie s'arrête ici.

    Chayma était désemparée. Que lui arrivait-il ? Pourquoi tout s'acharnait-il contre elle ? Devant son visage affolé, Fursy ricana.

    _ Petit frère ! Ah, ah ! Petit frère... Mais, je n'aime pas les petits frères ! Je n'en ai jamais eu d'ailleurs... Moi, MOI... je suis fils unique, fils chéri... adoré de son père et de sa mère... Ma mère... Très belle... Elle m'aimait, oui, elle m'aimait et...

    Fursy poussa un long cri sauvage.

    _ L'orphelinat est la pire des calamités, même celui des riches. Tu sais cela, toi ? Évidemment, tu n'as jamais connu l'orphelinat... Je me suis enfui. Ma douleur et ma révolte étaient trop grandes. J'ai rejoint les clans d'enfants. Quelques mois chez les Fennecs. Gentils, les Fennecs... Puis chez les Coyotes. C'est ma place. Tous, ils me respectent..., reconnaissent ma valeur, mes talents... Pas comme toi !

    Des bruits de grincement, puis ceux de voix et de pas, résonnèrent au fond du couloir sombre. Quatre silhouettes s'avançaient jusqu'à eux. Chayma se redressa et reconnu Chad, accompagné de trois Coyotes aux yeux maquillés d'un large trait noir. Ils vinrent se poster de part et d'autre du fauteuil où se tenait Fursy. Celui-ci leva la main en signe d'autorité.

    _ Vous arrivez quand il faut, les gars, fit-il. J'en ai fini avec ce microbe... Quelles sont les nouvelles du front ?

    _ Les Chacals reculent. Ils sont mal organisés, répondit un des garçons qui arborait une impressionnante ceinture cloutée. Mais le clan des Boxers vient de se rallier à eux, en plus des Braques...

    _ Les Goupils et les Cabots nous suivent, répliqua Fursy. Avec les Lévriers, qui m'ont promis leur soutien, nous sommes plus nombreux et donc, plus forts. C'est bien, c'est bien... Dans peu de temps, je pourrai contrôler toute une partie du réseau souterrain. Soyez assurés que vous aurez une place privilégiée, à mes côtés.

    Chad, le plus petit et le plus jeune des garçons, dansait d'un pied sur l'autre et tirait sur les mèches de ses cheveux gris clair. Il ne semblait pas à l'aise. Il évitait de regarder Chayma qui, elle, ne pouvait détacher ses yeux de celui qui l'avait trahie. Le garçon nerveux portait des chaussures, souples et confortables, celles que Dounia lui avait offertes. Ses chaussures...

    _ Cesse de t'agiter ! lui ordonna Fursy. Asseyez-vous. Nous devons nous concerter.

    Les quatre garçons s'installèrent face à Fursy, tournant le dos à Chayma qui n'osait plus bouger.

    _ Tout d'abord, où en sommes-nous avec les munitions ?

    _ Aucun problème. Nous avons de bonnes réserves : pavés, pétards et boules de grenaille. Et la fabrication des propulseurs est presque finie.

    _ Parfait ! apprécia Fursy.

    Le chef des Coyotes se pencha vers ses acolytes, affirmant sa position dominatrice.

    _ La zizanie est une bonne chose. Laissons monter la discorde entre les clans et, au moment venu, quand tout sera bien désorganisé, nous attirerons à nous tous ceux qui ne sauront plus où aller. Parce que nous sommes préparés à prendre le pouvoir...

    _ Ça a l'air facile quand tu dis les choses comme ça, fit un des garçons.

    _ Il faut savoir anticiper. Tout est là...

    _ En tout cas, on te suit. Tu n'as qu'à nous demander, ajouta un deuxième Coyote.

    _ Ouais, t'es cool comme chef, approuva Chad.

    _ Bon, voilà mon plan : dans l'immédiat, nous allons tenter une intrusion dans le clan Chacal, expliqua Fursy. Pour défaire leur base... On va associer les Cabots et les mettre en première ligne.

    _ On fait comment pour entrer dans leur base ?

    _ On fait diversion. On attire les Chacals dans un traquenard. Un petit groupe vient les provoquer en lançant quelques pétards. Les Chacals vont réagir et poursuivre les attaquants. Ceux-ci les conduisent à proximité, un carrefour... où nous les accueillons comme il se doit. Je serai là pour les recevoir... Pendant ce temps, un autre groupe, les Cabots en tête, fonce dans le camp des Chacals et détruit tout ce qu'il peut détruire.

    _ Super plan !

    _ Merci. Un de vous devra diriger le groupe des attaquants et en constituer l'équipe.

    _ Je veux bien...

    _ Moi, j'irai tout casser chez les Chacals. Il y a trop longtemps que ça me démange.

    _ Parfait ! Cette opération va déstabiliser nos chers ennemis... Mais, on ne va pas s'en tenir là. Il y a un autre clan qui commence sérieusement à m'irriter : le clan des Fennecs ! Ils sont en train de jouer les trouble-fête. Je trouve que Mihiran fait un peu trop le malin ces temps-ci. J'envisage une expédition punitive. C'est là, Chad, que tu as un rôle à tenir. Tu vas nous donner des renseignements précieux. De plus, les Fennecs détiennent le Trophée de la Joute qu'ils n'ont pas mérité. Leur sale clebs a tout faussé... Si vous le voyez, n'hésitez pas à le tuer.

    Chayma écouta avec plus d'attention. Mihiran et Douxyeux étaient en danger, eux aussi.

    _ Il paraît qu'ils sont allés jusqu'au QG du Service de Contrôle et qu'ils y ont fait des dégâts.

    _ Impossible ! répliqua Fursy d'un ton sec. Si c'était vrai, ils n'en serraient pas revenus. Je sais qu'il y a eu une explosion au QG, mais ce n'est sûrement pas à cause des Fennecs !

    _ Ben... En fait, j'étais avec eux, intervint Chad. On est vraiment allés au QG et j'ai pris de sacrés risques !

    Fursy fixa le jeune garçon, en clignant des yeux.

    _ Tu es allé au QG, toi ?

    _ Oui, oui, je t'assure.

    _ Et alors ?

    _ Ben... J'étais un peu malade... et je n'ai pas tout suivi.

    _ Tu racontes n'importe quoi ! s'énerva Fursy. Fais attention ! Ne cherche pas à m'embobiner avec tes histoires. Avec les Fennecs, ça marche peut-être, mais pas avec les Coyotes. Pas avec moi !

    _ Mais je te jure !...

    _ Stop ! Arrête tes bobards. Ou retourne au club des gentils toutous.

    Les autres garçons se mirent à rire.

    _ Écoute, Chad. Tu as été très efficace, hier, en m'aidant à attraper Élie. Tu as su nous diriger vers le stade de Squizz et, à partir de là, il a été facile de le suivre jusque dans la vieille station Mercure. Facile de le piéger aussi... Mais je ne supporte pas qu'on cherche à m'embrouiller... Maintenant, j'ai besoin d'informations sérieuses sur les Fennecs. Car je vais vraiment les attaquer. Quand j'en aurai fini avec les Chacals, je m'occuperai de Mihiran et de sa clique de minus.

    Chad se contorsionna. Chayma, qui voyait son dos, comprit que Fursy l'avait vexé. Cet enfant instable n'arrivait pas à trouver sa place.

    _ Oui, oui, chef, je te dirai tout ce que tu veux, fit-il en essayant d'amadouer Fursy.

    _ OK ! On en reparlera tout à l'heure. Quelqu'un a d'autres informations ?

    _ Je sais qu'il y a des mouvements de révolte en surface, répondit un des trois garçons. Certaines personnes s'organisent, menées par un groupe qui agit dans la clandestinité : les Insoumis. Ils ont des arcs et des arbalètes pour se défendre contre les gardes qui se sont déployés dernièrement.

    _ Les Insoumis ? J'en ai entendu parler..., fit Fursy l'air pensif.

    Chayma se redressa sur son matelas pouilleux. Elle avait appris, quelques heures plus tôt, que le groupe des Insoumis avait été mis en place par ses parents, quand ils habitaient Alzar. Ils avaient pris des pseudonymes, Miranda et Umbriel, pour concrétiser un élan de révolte qui avait commencé le jour de sa naissance à elle... Comme à son habitude, Fursy adopta une attitude méprisante.

    _ Ce sont des dissidents peu armés, peu efficaces... Ils n'iront pas loin face aux décharges que les gardes peuvent leur envoyer sur le bracelet.

    _ Il paraît que le bracelet n'est plus actif... Qu'on peut s'en débarrasser à cause de l'explosion au QG.

    _ C'est vrai ! confirma un Coyote. Le clan des Carlins l'a enlevé. On devrait faire pareil.

    _ Vas-y. Tu peux le faire !

    _ Je... je ne suis pas sûr d'avoir envie..., répondit le garçon en approchant sa main gauche vers son fin bracelet noir, mais sans le toucher. En fait, je ne suis pas rassuré.

    _ Évidemment ! La connexion des bracelets va très vite être rétablie, si ce n'est déjà fait. Et puis... enlever le bracelet est la meilleure façon pour se faire remarquer par le Service de Contrôle. Tous ceux qui l'ont enlevé vont être fichés.

    _ Ah, oui. Je n'y avais pas pensé.

    _ Je suis là pour ça, répliqua Fursy avec assurance.

    _ Ben, alors, plusieurs clans vont être embêtés par le Service de Contrôle. La plupart des Dingos, des Carlins et aussi des Fennecs ont enlevé le bracelet. Ils ont écouté le mot d'ordre des Insoumis. Je crois qu'ils font équipe.

    _ Une équipe de bras cassés, avec des armes terrifiantes ! ironisa Fursy. Ce n'est pas comme ça qu'on peut s'imposer. Croyez-moi, ma méthode est meilleure : désorganisation des clans et affirmation de mon autorité. Je compte sur vous pour rameuter un maximum d'enfants des rues. N'oubliez pas : je suis Fursy, Prince du Peuple de l'Ombre.

    _ C'est toi le meilleur, c'est sûr !

    _ Bien... Vous trois, désormais, vous êtes mes lieutenants. Mais toi, Chad, tu n'as montré que de piètres qualités... Tu vas devoir me prouver que tu es digne de confiance. Le clan Coyote n'aime pas les petits magouilleurs !

    Chad se tortilla une nouvelle fois, apparemment contrarié.

    _ D'accord, pas de problème, fit-il avec un enthousiasme feint.

    _ Bon, pour aujourd'hui, nous avons fait le tour des questions importantes. Il ne nous reste plus qu'à mettre en place notre action d'éclat chez les Chacals. La séance est levée !

    Les garçons affichaient des regards agressifs. Fursy, qui était à peine plus grand que Chad, les dominait tous pourtant, grâce à sa prestance naturelle. Ils crachèrent à tour de rôle, accomplissant un rituel qui marquait la fin de la conspiration.

    Les trois garçons s'éloignèrent, tandis que Chad s'attardait, observant à la dérobée la couchette de Chayma. Fursy se tourna vers elle. Il la jaugea de son regard fourbe et lui dit d'une voix sifflante :

    _ Toi, petit Prince des Montagnes, je ne t'oublie pas. Je viendrai m'occuper de toi ce soir. Je dois agir vite et... tu sais ce qui m'intéresse... Dans quelques heures, tu seras mort. Je te trancherai la tête !  


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